[Claire] Mission 1 partie 2

Après environ une heure d’exploration silencieuse, mon oreille exercée perçut des bruits semblables à des lamentations. Je me dirigeai vers leur provenance et aperçus une silhouette vaguement humaine qui disparaissait presque entièrement sous un tas de marchandises hétéroclites, allant du ballot de tissu au petit meuble de bois en passant par les colifichets divers et variés. Je fus surprise que l’individu arrive simplement à porter tout ça. En tout cas, j’avais manifestement trouvé ledit colporteur…
Je quittai l’ombre du chêne où je me trouvais, et fis remarquer d’une voix neutre :
« Vous avez l’air perdu. »
L’homme poussa un cri de surprise et partit en arrière. Son chargement, et probablement lui-même, ne durent leur salut qu’à un large tronc providentiel qu’il heurta après tout juste un mètre de chute.
« Non mais ça va pas ?! Qu’est-ce qui vous prend de surgir comme ça de nulle part ?! »
Je haussai un sourcil. J’avais rarement entendu quelqu’un d’aussi agressif hors d’un combat… Non, en fait, j’avais rarement entendu quelqu’un d’aussi agressif tout court.
« Eh bien je passais par là et je vous ai entendu vous plaindre, alors je suis venue voir. »
« Et qu’est-ce qui vous fait dire que je suis perdu ?! »
« Sans doute que tant de marchandises portées à dos d’homme ne peuvent se diriger qu’en direction d’Emblem City, et que vous prenez présentement celle de la Cité des Pieux, qui se trouve à plus d’une semaine de marche rapide ? » suggérai-je avec un rien d’acidité.
Un visage chafouin parvint finalement à s’extraire du chargement et me reluqua un instant. Il sembla s’éclairer en apercevant quelque chose dans mon dos. Je me retournai brièvement, la main sur mes armes, mais ne vis rien.
« Vous avez une mandoline ! Me la cèderiez-vous pour… »
« Elle n’est pas à vendre. » coupai-je sans aménité. « Par contre, si vous voulez pouvoir vendre votre chargement avant que le marché ne soit fini, vous devriez me laisser vous ramener à Emblem. »
« Hors de question ! Vous êtes comme tous ces voleurs qui en veulent à mon argent ! » hurla-t-il en s’accrochant à son chargement, presque hystérique.
Effectivement, il était peut-être un peu paranoïaque.
« Oh, écoutez, si j’en voulais à votre argent, je vous en aurais déjà délesté depuis longtemps, vous savez. » répliquai-je sans douceur. Certes, ce n’était pas entièrement vrai… mais pas entièrement faux non plus. « Et si vous traitez tous les gens comme ça, non seulement vous n’êtes pas près d’arriver en ville, mais encore vous ne devez pas vendre grand-chose. »
Il sembla se calmer un peu face à cette évidence. Une étincelle de ruse passa dans son regard, ce qui ne m’échappa pas. Que mijotait-il ?
« Très bien. Alors vous allez me guider jusqu’à Emblem. »
« D’accord. »
« Vous allez me montrer cette mandoline… »
« Vous n’y toucherez pas. »
« … et vous allez porter tout ça ! » conclut-il en reposant brusquement la tonne de marchandises sur le sol.
« C’est hors de question ! » protestai-je énergiquement. « Moyennant finances, par contre… »
« NON ! »
« Bon, eh bien alors débrouillez-vous. Bonne soirée. » conclus-je en faisant mine de repartir.
« Eh, attendez ! Cent écus ! »
Je m’arrêtai, sourire aux lèvres, mais ne me retournai pas. Ca avait marché.
« Vous vous fichez de moi ? Mille. »
« Trois cent, pas davantage. »
« Quatre cent, je n’irai pas plus bas. »
Silence.
« Bon, c’est d’accord. Mais vous jouerez de cet instrument, al… »
« Cinq cent, donc. » corrigeai-je en calculant rapidement qu’il me serait délicat de porter les marchandises et de jouer de la mandoline, surtout si elles étaient aussi lourdes qu’elles en avaient l’air.
« Non. »
« Bonne soirée. » répétai-je en faisant un pas supplémentaire.
« C’est bon ! Mais pas un écu de plus ! Vous voulez ma ruine, ma parole ! » craqua-t-il enfin, excédé.
« Mais non. » le rassurai-je en me retournant. Je lui tendis la main pour sceller notre accord. Non pas que j’en aie vraiment envie, mais c’était indispensable à tout contrat, même pour une quarantaine de minutes.
« Claire. »
« Janus. » répondit-il en la serrant brièvement.
Je déposai ma mandoline à quelques pas de l’impressionnant chargement, artistiquement ficelé sur un support pourvu de deux larges bretelles. Je les enfilai et me redressai au prix d’un effort considérable, le souffle coupé. Je devais bien avoir deux fois mon poids sur le dos ! Je passai ensuite la bandoulière de ma mandoline par-dessus la bretelle, puis pris les devants sans prévenir mon nouvel employeur, tout en grattant doucement les cordes de l’instrument. Plus vite je serais arrivée, tout en économisant mes forces autant que, plus vite je serais débarrassée de cette masse encombrante.

(suite dans le quartier des marchands)